Auteur(s)
Isabelle Lucas-Baloup
Contenu
La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), siégeant à Strasbourg, vient de prononcer un arrêt condamnant la position de la France au regard de son refus de transcrire sur les actes d’état civil les naissances issues d’une gestation pour autrui autorisée à l’étranger, dans les circonstances ci-après :
En raison de l’infertilité de l’épouse et après avoir vainement tenté des fécondations in vitro avec leurs propres gamètes, Sylvie et Dominique M. décident d’avoir recours à la fécondation in vitro avec les gamètes de Dominique et un ovule issu d’un don, en vue de l’implantation des embryons fécondés dans l’utérus d’une autre femme. A cette fin ils se rendent en Californie où ces modalités sont prévues par la loi, et concluent une convention de gestation pour autrui (GPA), la mère-porteuse n’étant pas « rémunérée » mais seulement « défrayée ». Des jumelles naissent le 25 octobre 2000 et un jugement de la Cour suprême de Californie décrète que les enfants auront Dominique M. pour « père génétique » et Sylvie M. pour « mère légale ». Mais le Consulat français de Los Angeles saisi par Dominique M. pour la transcription des actes de naissance sur les registres de l’état civil français et l’inscription des enfants sur son passeport afin de pouvoir rentrer en France avec elles, refuse, suspectant un cas de gestation pour autrui, et transmet le dossier au Parquet.
Au terme d’une procédure longue décrite dans la décision accessible intégralement sur le site de la CEDH, il est statué, dans un arrêt du 6 avril 2011 de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, sur l’indisponibilité de l’état des personnes, « principe essentiel du droit français », et sur l’interdiction de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 (« Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. ») et 16-9 (« Les dispositions du présent chapitre sont d’ordre public. ») du code civil français. La Cour de cassation considère que le jugement californien est contraire à la conception française de l’ordre public international, juge que l’interdiction de reconnaître la filiation maternelle et paternelle ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants au sens de l’article 8 de la Convention, non plus qu’à leur intérêt supérieur garanti par l’article 3 §1 de la convention internationale des droits de l’enfant.
La CEDH, saisie conjointement par les époux M. et par les jumelles, ressortissantes américaines, souligne « l’absence de consensus » sur la GPA et que « le recours à la GPA suscite de délicates interrogations d’ordre éthique » en rappelant que « chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer ».
L’arrêt de la Cour de Strasbourg du 26 juin 2014 considère que le défaut de reconnaissance en droit français du lien de filiation affecte nécessairement la vie familiale et engendre des difficultés concrètes, notamment au regard de l’obtention de la nationalité française par les enfants, tout en estimant que la Cour de cassation ménage un « juste équilibre entre les intérêts des requérants et ceux de l’Etat, pour autant que cela concerne leur droit au respect de leur vie familiale ».
Quant au respect de leur vie privée, la CEDH considère que la France porte atteinte à l’identité des jumelles au sein de la société française, dès lors que la nationalité constitue un élément de l’identité des personnes, et ce en violation de l’article 8 de la Convention.
L’arrêt accorde aux requérants 5 000 € pour préjudice moral et 15 000 € pour frais de procédure.
Le droit français doit prendre en considération cette décision dans l’avenir et modifier sa position au regard de la gestation pour autrui.
Source
La Lettre du Cabinet - Septembre 2014
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