Auteur(s)
Isabelle Lucas-Baloup
Contenu
A une époque où régnaient dans les cliniques la confiance et la confraternité, un des médecins pouvait, sans autre formalité, accepter de prêter son nom dans l’intérêt collectif pour être le « titulaire du compte mandataire », c’est-à-dire en pratique celui au nom de qui est ouvert un compte bancaire sur lequel sont virés les honoraires en tiers payant (CPAM et caisses mutuelles), que les cliniques ne peuvent pas encaisser sur leur propre compte bancaire, afin de bien séparer la rémunération de l’établissement de santé (dans le cadre de la T2A) et les honoraires des praticiens qui y exercent (dans le cadre de la CCAM).
Bien évidemment, ce n’est jamais le médecin, souvent d’ailleurs mais pas forcément le président de la conférence médicale (CME), qui se livre personnellement aux opérations d’encaissement, ventilation, paiement des honoraires ainsi recueillis sur ce compte bancaire, dit « compte mandataire médecins », mais les services économiques de la Clinique, au fur et à mesure du règlement des bordereaux 615, aujourd’hui S3404, télétransmis par l’établissement de santé. A cette fin, la Clinique justifie une « redevance », parfois proportionnelle aux honoraires facturés, dont plusieurs expertises comptables ont fixé le coût réel de la prestation, selon les moyens mis en œuvre, entre 0,8 et 5% HT. Mensuellement, il est procédé au pointage des bordereaux réglés, au contrôle des sommes virées et à leur distribution aux médecins destinataires, par le personnel ad hoc de la Clinique, qui procède alors à la préparation des chèques que le titulaire du compte va devoir signer un par un pour qu’ils soient distribués à ses confrères, lorsqu’il n’est pas procédé directement par virements bancaires.
En droit, c’était autrefois sur le fondement de l’article 20 alinéa VI du contrat tripartite national de l’hospitalisation privée du 14 juin 1996 que ce mandataire était désigné par ses confrères ; plus récemment, l’arrêté du 22 septembre 2011 portant approbation de la convention nationale des médecins généralistes et spécialistes précise, en son article 59 : « Lorsque le médecin opte pour la dispense d’avance des frais, la part garantie par la caisse peut être versée selon son choix, soit globalement à un médecin désigné par ses confrères ou à une société de médecins ou à un groupement de médecins exerçant dans l’établissement, soit individuellement à chaque praticien ».
Au fur et à mesure des ans, personne ne réclamant, certains comptes mandataires se sont avérés présenter des soldes créditeurs au-delà des honoraires à payer, et d’autres malheureusement insuffisamment pourvus pour régler les sommes dues. Les problèmes de « riches » créent moins d’angoisse, même s’il n’est pas aisé de décider sur quels critères doit avoir lieu la distribution d’un important solde non affecté aux praticiens, solde que personne ne réclamait mais dont chacun revendiquera sa part après avoir appris son existence, c’est humain. En revanche, lorsqu’il apparaît que les fonds disponibles ne permettent pas de payer à un moment les honoraires mensuels que chacun attend et que les caisses d’assurance maladie ont réglés, il est légitime que les médecins créanciers montrent les dents… Mon cabinet a connu plusieurs affaires de cette nature, souvent transigées après une expertise comptable montrant l’origine des négligences et erreurs cumulées ayant provoqué le solde débiteur, sans escroquerie ni abus de confiance, avec un règlement amiable de la pénurie en bonne intelligence entre gens de bonne compagnie.
Un récent dossier, non transigé mais judiciairement traité, montre néanmoins combien le médecin mandataire – qui n’y est pour rien dans la réalité des erreurs conduisant au défaut de paiement intégral des honoraires de chacun – peut se retrouver assigné en responsabilité par ses chers confrères créanciers d’honoraires évaporés dans les limbes d’une comptabilité parfois approximative, les masses gérées ayant historiquement permis le paiement des encours sans avoir colligé dans le détail les honoraires facturés aux caisses et ceux demeurés chez le médecin DIM pour correction non pratiquée avant la péremption de deux ans d’un code inadapté, les honoraires facturés mais jamais recouvrés car les patients étaient en fin de droits ou fraudeurs ou non identifiés par l’assurance maladie, les honoraires impayés par omission jamais décelée, ceux réglés à autrui par erreur que le bénéficiaire a omis de révéler à la Clinique et à son confrère destinataire légitime qui le réclame au mandataire, ou encore ceux réglés à la Clinique en même temps que ses GHS par erreur de saisie des services de l’assurance maladie. Les personnels en sous-effectifs, les urgences économiques imposant des choix stratégiques, la mauvaise organisation informatique d’un système qui devrait à notre époque éviter les erreurs et à tout le moins les signaler spontanément - mais encore faut-il que du personnel soit dédié à réparer les dysfonctionnements tarifaires et les erreurs d’imputation - conduisent dans beaucoup d’établissements à reconnaître que le solde du compte mandataire ne peut être apuré comme il devrait à l’instant T, sans que pour autant un petit malin des services économiques ait pu en tout impunité, faute de contrôles internes, distraire à des fins personnelles tout ou partie des honoraires dudit compte mandataire.
En l’espèce, la clinique avait été déclarée en cessation de paiement, et les erreurs d’imputation mises en évidence, qui auraient pu être réparées si la santé financière de l’établissement l’avait permis, n’ont pu que s’ajouter au passif de la liquidation judiciaire, provoquant la revendication de certains médecins créanciers à l’encontre du « praticien titulaire du compte mandataire », l’accusant de ne pas avoir rempli sa mission avec efficacité et lui demandant, sous astreinte, de rendre compte des modalités de répartition du solde, des sommes perçues sur le compte mandataire pendant plusieurs années, de l’origine exacte des erreurs ayant conduit à la perception par le compte de la clinique d’environ 400 000 € à 800 000 € au préjudice du compte mandataire entre 2008 et 2011, informations que le gynécologue-obstétricien ayant accepté d’être désigné « mandataire » du compte « praticiens » par ses confrères était dans la plus grande incapacité de communiquer, n’ayant jamais lui-même tenu ni contrôlé cette comptabilité, normal il n’en a jamais été chargé et ce n’était pas son métier ! Aussi a-t-il pu produire l’intégralité des copies de relevés bancaires, puisqu’il était le titulaire en nom du compte, mais pas le détail des opérations, ce qu’a compris parfaitement le Tribunal saisi, en jugeant notamment : « Le Docteur M., qui a communiqué à la SELARL demanderesse l’ensemble des relevés bancaires du compte mandataires-praticiens sur la période antérieure à la liquidation, a fait ce qu’il pouvait faire en tant que titulaire de la signature du compte mandataire-praticiens ; ne disposant pas de la comptabilité de la clinique dont il n’avait pas la charge, permettant de déterminer le détail des opérations, il ne pouvait et ne peut répondre aux autres questions de la demanderesse, qui doit être déboutée de ses demandes à cet égard. »
Néanmoins, le « mandataire » a dû se défendre, payer à cette fin des honoraires d’avocat, et a encouru le risque de voir sa responsabilité engagée, pour laquelle nulle assurance n’est prévue en cas de condamnation à payer les honoraires revendiqués par les confrères victimes de la gestion désordonnée de la clinique en liquidation de biens, donc insolvable. Est-il raisonnable pour un praticien d’accepter aujourd’hui un tel « mandat », sans avoir ni les moyens ni la volonté de contrôler les opérations objet du mandat, mission comptable totalement en dehors du cœur de métier d’un médecin libéral spécialisé, en l’espèce ne venant à la clinique que pour y pratiquer des accouchements et la chirurgie gynécologique sur ses patientes, en dehors de tout mandat de gestion dans les structures de la société d’exploitation de l’établissement de santé ? Expérience à méditer par ceux qui se trouvent dans une situation identique, sans pour autant envisager de consacrer leurs week-end à gérer les honoraires de leurs confrères, qui pourtant, un jour, sont susceptibles de lui demander de rendre compte de son mandat, dans les termes des articles 1991 du code civil : « Le mandataire (…) répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution. » et 1992 : « Le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion. ». D’où l’impérieuse nécessité de limiter contractuellement l’objet du mandat, afin d’en exclure toute mission de comptabilité confiée expressément par le contrat d’exercice professionnel entre les médecins et la Clinique aux services économiques de cette dernière, moyennant redevance. Le praticien-mandataire – on le voit – quant à lui agit gratuitement, mais s’expose à des revendications de confrères en cas de distraction des honoraires litigieux…
Source
La Lettre du Cabinet - Septembre 2014
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