Auteur(s)
Jonathan Quaderi
Contenu
Le fondement légal des sanctions financières pour manquement aux règles de la tarification à l’activité (T2A) a été créé il y a plus de dix ans (cf. loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2004, du 18 décembre 2003 et article L. 162-22-18 du code de la sécurité sociale) et, à l’instar de ses décrets d’application (cf. 16 mars 2006, 20 août 2009, 31 mars 2010 et 29 septembre 2011), le texte qui en est le support a déjà été réformé à quatre reprises (la dernière issue de la LFSS pour 2011, du 20 décembre 2010).
D’emblée, lesrègles de la T2A ont été difficiles d’interprétation, et donc de mise en œuvre, et se sont de surcroît complexifiées ces dernières années (cf. multiplication des « Groupes Homogènes de Séjours » et, exponentielle, des « Groupes Homogènes de Malades », modifications des conditions de facturation et d’attribution de forfaits et suppléments de rémunération, création de sous-ensembles, de listes d’exclusions, introduction de nouvelles prestations d’hospitalisation, de « racines », de notions de « sévérité », de « diagnostic relié », etc.), rendant les conclusions de la ou des « personnes chargées du contrôle » ou de son « organisation » davantage tatillonnes, d’autant plus susceptibles d’être entachées d’erreurs de ces chefs et les possibilités de s’en défendre sérieusement réduites, le premier obstacle à surmonter étant d’expliquer simplement à autrui (en dernier lieu, le juge) l’articulation et l’application de cesdites règles.
Encore récemment, s’est ajoutée à cette difficulté la reconnaissance, par le Conseil d’Etat, du caractère conforme au droit en vigueur de la « technique de l’échantillonnage » et « le fait de fixer une des limites au montant maximal de la pénalité financière en se référant notamment au taux d'anomalies constatées sur un échantillon » (CE, 19 juin 2013, n° 357885 ; voir également sur ce point, CAA Lyon, 18 avril 2013, n° 12LY01873).
Bien sûr, certaines critiques et doléances des professionnels et acteurs de santé, portant sur la survenue et le montant de ces mesures pécuniaires, ont été plus ou moins entendues.
De même, il existe aujourd’hui une véritable tendance des juridictions administratives à bien vouloir censurer ces pénalités, a minima (par « économie de moyens »), pour vices de forme (cf. insuffisance de motivation, voire défaut de signature du rapport de contrôle sur site : CAA Douai, 30 août 2013, n° 12DA01616 ; CAA Bordeaux, 15 janvier 2013, n° 11BX01836 ; TA Grenoble, 28 juin 2013, n° 1000704 ; TA Bordeaux, 16 avril 2013, n° 1002057 ; TA Limoges, 11 avril 2013, n° 1101052 ; TA Nancy, 26 mars 2013, n° 1101100 ; TA Nantes, 6 février 2013, n° 107086).
Cependant, quand on sait, d’une part, que les opérations de vérification qui ont lieu au sein des établissements de santé sont réalisées quasi exclusivement « parles praticiens-conseils des organismes d'assurance maladie» locaux, que la sanction financière en résultant est recouvrée par la « caisse primaire d'assurance maladie dans la circonscription de laquelle est implanté l'établissement » et que cette dernière, ensemble celles dont les séjours de patients ont été retenus en « anomalie » par ces mêmes contrôleurs, réclament en sus le reversement des indus T2A y afférents, que, d’autre part, outre le concours desdits « praticiens-conseils» locaux et l’intérêt financier manifeste que les organismes auxquels ils appartiennent trouvent à voir la facturation d’un séjour hospitalier retoquée, participent également à cette procédure, tant en phase d’engagement, que de répression, les représentants « des organismes d'assurance maladie» (toujours locaux), parfois les contrôleurs (« praticiens conseils »), eux-mêmes membres des instances créées à cet effet dans les agences régionales de santé (cf. Unité de coordination régionale et Commission de contrôle), elles aussi composées de ces mêmes personnes et organismes, n’est-il pas légitime de s’interroger sur la question du respect de l’impartialité, objective, puis subjective, devant nécessairement présider à l’édiction des sanctions T2A ?
En effet, dans ce contexte juridico-local, les droits des établissements de santé contrôlés sont-ils véritablement de nature à leur garantir la préservation du principe général du droit d’impartialité, applicable à tous organes de l’administration, à plus forte raison lorsqu’ils agissent en matière disciplinaire (cf. CE, 27 octobre 1999, n° 196251 ; 18 décembre 2013, n° 352843) ?
On peut en douter.
Pour mémoire et singulièrement, ce n’est qu’en fin d’année 2011 que les services du Ministère de la Santé ont rappelé, au sujet de la Commission de contrôle prévue à l’article L. 162-22-18 du CSS, qu’afin de garantir le principe d’impartialité « il est impératif que les représentants de l’ARS et des organismes et service médical d’Assurance maladie appelés à y siégerne soient pas l’une des personnes membres de l’UCR ou ayant réalisé le contrôle sur lequel la commission est saisie » (cf. circulaire n° 2011-395 du 20 octobre 2011).
Pourtant, en dépit de cette précision tardive (et qui aurait dû être observée depuis longtemps, même sans texte, tellement elle est empreinte de bon sens), on constate encore que de nombreuses opérations de vérification sur site demeurent réalisées, quasi exclusivement, par des praticiens-conseils de la caisse primaire dans le ressort de laquelle est implanté l'établissement concerné, que les instances compétentes des ARS les comptent parmi leurs membres ou, encore, que si tel n’est plus le cas, ils sont en tout état de cause placés sous l’autorité des représentants desdits organismes désignés auprès des ARS.
Aujourd’hui, certaines juridictions semblent enfin sensibles aux arguments juridiques dénonçant ces situations et, à titre d’illustration, a été jugé illégal le fait, pour un Directeur général d’ARS, d’être à la fois Président d’une Commission de contrôle (organe consultatif desdites agences) et signataire de la décision de sanction subséquemment prononcée (cf. TA Grenoble, 22 novembre 2013, n° 1100969) ou, encore, pour un Responsable d’une Unité de coordination régionale (sous-instance des commissions de contrôle), d’être, dans les mêmes conditions, membre de ladite Commission et signataire du rapport transmis à cette dernière par son unité aux fins de sanction (cf. TA Marseille, 24 septembre 2013, n° 1006138).
Néanmoins, d’autres ont conclu récemment que la circonstance qu’un contrôleur de l’Assurance maladie soit par ailleurs membre d’une UCR, ayant pourtant vocation à se prononcer sur la position desdits contrôleurs, à la confirmer et, en tant que de besoin, à l’amender, ne serait pas, par elle-même, « de nature à démontrer le non-respect du principe d’impartialité » (cf. TA Melun, 27 décembre 2013, n° 1106167).
C’est pour l’ensemble de ces motifs que le Cabinet soutient que, en l’état, le principe général d’impartialité n’est pas correctement garanti aux établissements de santé, objets de contrôle T2A, et qu’il s’associera à toutes actions tendant à réformer cette procédure de sanction, menées en particulier en ce sens.
Source
La Lettre du Cabinet - Janvier 2014